Libye : après les armes, des mercenaires envoyés par la Turquie
La Turquie jouit d’une impunité totale sur le théâtre libyen, où, malgré un embargo sur l’importation d’armes, elle a depuis deux ans multiplié les livraisons aux brigades islamistes gravitant autour de Fayez Al-Sarraj, dont le pouvoir repose sur la mutation des brigades djihadistes de l’Aube de la Libye (Fajr Libya).
En décembre 2018, 3000 mitrailleuses de fabrication turque accompagnées de quatre millions de balles furent découvertes dans un container du port de Khoms. En janvier 2019, une cargaison de 556 cartons contenant chacun 36 fusils turcs furent découvert dans un navire censé contenir des jouets dans le port de Misrata.
500 mercenaires payés par la Turquie déjà sur place
Fin décembre, des sources anonymes à l'aéroport de Mitiga, à Tripoli, témoignaient d'une circulation importante de combattants venus de Turquie, à bord de vols non enregistrés.
Selon différentes sources jointes par RFI, c'est la compagnie aérienne libyenne Afriqiyah Airways et la compagnie al-Ajniha, propriété de Abdelhakim Belhaj, un djihadiste résidant en Turquie, qui ont transporté ces combattants de la Turquie à Tripoli. Leur objectif : prêter main-forte aux milices islamistes, fidèles au Gouvernement d'union nationale. Entre le 27 et le 29 décembre 2019, quatre appareils ont atterri à l'aéroport de Matiga, débarquant des combattants syriens des brigades fidèles à Ankara.
« Nous sommes venus défendre l'islam en Libye, nous sommes l'armée libre », martèle un combattant à l'accent syrien dans une des premières vidéos qui témoigne de cette présence.
Ces mercenaires proviennent des brigades opérant en Syrie, nommées Sultan Murad, Hazm, ou Division al-Mu’tasim, alimentées par l’attractivité du solde (2000 $ mensuels), et disponibles depuis le gel des combats dans la bande investie par la Turquie autour d’Afrin.
Dans un communiqué, publié dimanche, le Gouvernement d'union nationale libyen a maladroitement réfuté la présence de ces combattants syriens en Libye affirmant que cette vidéo avait été tournée à Rakka, en Syrie. Des acteurs de la société civile libyenne relèvent cependant sur la vidéo des éléments qui indiqueraient que celle-ci a été tournée en Libye près du camp militaire Tekbali récemment repris par les opposants aux forces de Khalifa Haftar.
D’ailleurs, même la Turquie assume ces envois de troupes. Une conseillère du président turc indique que cet envoi a été « envisagé ». Même tonalité chez plusieurs sources turques haut placées interrogées par l'agence Reuters. Selon ces sources, Ankara « songe à envoyer des miliciens syriens en Libye, le sujet est en discussion ». « Une réflexion est menée et des réunions sont organisées sur cette question », rajoutent ces sources avant de conclure : « la tendance est d'aller dans cette direction ».
Joint par RFI, Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) affirme qu'au moins 500 combattants syriens sont déjà en Libye. Selon lui, mille autres ont été transportés en Turquie et devraient être envoyés, à leur tour, vers Tripoli.
« Des bureaux d'inscription sont ouverts pour les combattants désireux d'aller combattre en Libye, dans les zones sous occupation turque au nord de la Syrie, précisément à Afrin. A présent, on est sûr que des combattants appartenant à ce qu'on appelle "l'armée nationale", ces forces fidèles à la Turquie, ont été transférés en Libye. Il y a au moins 500 combattants qui sont déjà en Libye. Des centaines d'autres se préparent à s y rendre. En réalité, ce ne sont que des mercenaires parce qu'ils combattent hors de la Syrie, au service de la Turquie, non pas pour une cause mais pour de l'argent tout simplement », souligne-t-il.
Des soldats turcs ?
Ainsi, le déploiement de l’armée turque validée par son parlement le 2 janvier devrait reposer largement sur ces mercenaires importés du théâtre syrien tout comme il fut le cas au nord de la Syrie. L’armée turque se cantonnerait à un rôle de conseil, d’autant que la Russie et les Etats-Unis verraient d’un très mauvais œil la présence directe des soldats turcs, qui risquerait de subir des pertes importantes étant donné la qualité des forces du général Haftar et des quelques 800 mercenaires d’élite de la société Wagner à ses côtés. Le coût financier des mercenaires est déjà lourd pour une Turquie aux finances fragiles.
Un accord tacite, encore un, serait le but recherché par Erdogan : se servir de cette pression en Libye afin d’obtenir plus de terrain en Syrie ou, plus ambitieux, le gel de l’offensive à Idlib. On peut imaginer également qu’Ankara monnayerait sa non intervention directe en obtenant une liberté de forage accrue dans les eaux situées entre Chypre et la Libye. Se targuant d’avoir un accord avec Sarraj à la tête d’un gouvernement reconnu par l’ONU, le colérique « sultan » ottoman a remarquablement avancé ses pions.
L’Europe va elle, encore observer et commenter sans aucun rôle décisif dans ce dossier, malgré quelques forces spéciales françaises chargées de recueillir du renseignement dont la présence fut admise l’été dernier par Paris après la mort de trois agents de la DGSE dans le pays.